Editorial
Habiter : décliner toutes les nuances et les parfums de ce mot-constellation est un tour de force cinématographique et un jouissif tour du monde. En revenant sur cette question pour mettre à distance les choses, c’est un regard d’ethnologue qu’on voudrait que le public puisse se façonner - projeter « notre » culture sur celles des « autres », pour en mesurer les diversités, les proximités, les analogies, dans l’accueil de la différence et non l’entre soi. Bricoler ensemble un regard éloigné, comme écrivait Lévi-Strauss, et revenir chez soi peut-être meilleur(e)s.
On commence par La Jungle plate, un portrait collectif de femmes et d’hommes qui ont trouvé une fusion parfaite avec leur environnement.
Les grands ensembles de la banlieue parisienne de Dominique Cabrera riment avec la dureté politique que Jérémy Gravayat nous donne à voir dans A Lua Platz : des familles qui quittent un quartier, d'autres que nos Etats policiers ne jugent pas dignes d'avoir un chez soi. Et d'autres qui ont perdu leur terre et patrie dans le programme Traces de vie où s'entrecroisent le premier film d'Amos Gitai et une vidéo de l'artiste Till Roeskens.
L'Espagne des patelins perdus filmée par Luis Buñuel en 1932 (Las Hurdes) se retrouve en 2018 dans les villages fantômes d'Aragon de Últimas ondas. La Chine ancestrale des Trois sœurs du Yunnan de Wang Bing nous montre la face cachée de la mondialisation.
Ce regard éloigné va s'exercer aussi plus près de nous, grâce à l'irrésistible sens de l'absurde de Luc Moullet, et sur les maisons archi-modernes dans le très drôle Koolhaas Houselife. Les contradictions irrésolues de nos vies « en boîtes » sont montrées dans toute leur dialectique par Joaquim Pedro de Andrade, un Brésilien qui filme chez soi comme s'il filmait la planète Mars.
Enfin, deux œuvres-phares : celles de Dušan Hanák, qui filme des personnes âgées et pauvres avec la plus grande beauté formelle, et du grand cinéaste Artavazd Pelechian, auquel on dédie une journée, devenue conférence en ligne.
Federico Rossin