La poétesse Albane Gellé a sillonné les bibliothèques de l'Aveyron du 30 mars au 2 avril pour des rencontres et des ateliers d’écriture. Voici son journal et des témoignages.
Albane Gellé, Journal d'une semaine en Aveyron
mercredi 30 mars
Ma petite tournée aveyronnaise commence par un village qui s'appelle Gelle(s) avec un S, ou pas. Jean-Baptiste m'y emmène, participe à l'atelier et s'occupe de tout, repas, petite librairie nomade et trajets. Céline, la bibliothécaire, veille à la bonne circulation des livres et des lettres, elle écoute les habitants d'ici ou de plus loin lui confier leurs histoires d'habitants, territoires et voisinages. Elle a réuni une dizaine de personnes autour de la poésie, enfants, adultes, chacun chacune choisit des mots qui lui ressemble et les écrit sur des grandes feuilles A3 qui n'attendaient qu'eux, les mots d'aujourd'hui ! On se souvient de Prévert, on rit parce que peut-être quelqu'un ce jour-là se cache derrière le mot cancre. Les livres choisissent leurs mains et on s'étonne que le hasard, décidément, fasse si bien les choses. Des poèmes éclosent, des petits feux de joie s'allument dans les voix. Il pleut un peu dehors mais à vrai dire qu'importe, et on aime l'eau de toute façon.
Le soir, on a rendez-vous à Najac, la pluie s'est arrêtée et en marchant sur les pavés on regarde au loin les vallées, les versants, la vie des paysages. Ici la gardienne des livres s'appelle Charlotte, elle connait la montagne et la philosophie, elle aime quand un poète suédois lui parle de silence. On savoure ensemble le délicieux dîner de Dominique, Alain partage un Marcillac, on se dépêche un peu pour être à l'heure du rendez-vous, on envisage déjà d'autres dîners, d'autres projets, d'autres jours en terrasse, quand les beaux jours reviendront. A la bibliothèque, il y a le nombre de chaises qu'il faut, quinze, vingt ? et les livres de poésie regardent par la fenêtre. C'est un peu une conversation, on lit des poèmes aussi, de Thierry Metz à Tomas Tranströmer, je suis en bonne compagnie. Ici les habitants savent déjà que rien n'est séparé de rien, que les plantes savent chanter et que les écoles sont à réinventer. On reste à parler un peu tard, on parle des arbres bien sûr, amis communs. Puis on traverse la nuit jusqu'à Rodez, en sachant déjà qu'on se souviendra de Najac et de ses lumineux najacois.
jeudi 31 mars
C'est Sophie qui vient me chercher le matin et nous voilà en route pour Marcillac le village rouge. On a rendez-vous à la bibliothèque et s'il avait fait un peu plus chaud évidemment, on se serait assis avec les enfants sur l'herbe du petit jardin entre le perron et l'église. La classe se divise en deux et le moment avec chacun des deux groupes est rempli de calme et d'attention. Les enfants écoutent et lisent, écrivent aussi, ils regardent par la fenêtre pour attraper le mot tourterelle, et d'autres mots. Un garçon met l'Afrique dans sa jambe, une fille n'a pas peur d'aller creuser dans sa tristesse pour écrire un poème sombre. Marie la bibliothécaire s'occupe de l'autre groupe, en alternance, on pose pour le journal du coin sur une photo avec entre les mains, un livre de papillons.
Sophie est repartie à la BDP et Jean-Baptiste arrive, pour le déjeuner on rejoint dans un petit restaurant Cécile, Pierre et Bernard, les enseignants et le bibliothécaire de Campuac. La bibliothèque est dans l'école, c'est Bernard et Hélène qui ont les clés, Bernard ouvre la porte, il y a des gradins comme dans un petit théâtre et les enfants s'y assoient pour me poser toutes leurs questions. Ils écoutent, on discute, puis on s'en va dans leur classe pour y écrire des poèmes. Il y a beaucoup de joie dans l'air, et les enfants font des feux d'artifice avec les mots qu'ils récoltent. Les poèmes fusent et s'amusent, on accompagne. Sur la route du retour, on s'arrête pour visiter le deuxième petit théâtre de Bernard, une chouette chevêche garde les lieux, des marionnettes attendent qu'on leur fasse vivre nos vies, Bernard tire des fils, dedans dehors.
vendredi 1er avril
Isabelle vient me chercher de bon matin et nous partons vers St Affrique. Il a neigé, poisson d'avril, les routes sont encore blanches par endroits, on traverse des villages sans rencontrer personne, on espère secrètement croiser la route d'un animal, le soleil perce et le vent souffle sur la neige. Marie-Hélène nous attend à la bibliothèque, les lycéens sont déjà arrivés. Une dizaine de garçons, quatre filles. Qui se destinent à élever brebis et vaches. Ils disent ovins, ils disent bovins, ils disent filière lait, filière viande, ils mettent des distances entre les mots et les animaux, on se présente et on fait connaissance. Je leur lis la lettre que j'ai écrite à la vache, et leur silence peut-être les étonne eux-mêmes. Après quelques tentatives d'esquivements, blagues et rires, une seule feuille pour quatre, chacun chacune prend une page, écrit des mots puis les assemble et les croise pour des poèmes qu'ils liront, et qu'ils aimeront. L'une d'entre eux remplit des pages, les mots arrivent comme un flot, on se rencontre.
J'ai la chance d'être invitée le midi à la meilleure table de la ville. Aurélie est une fée de la cuisine, elle récolte des mets, les assemble et les fait converser, créant des assiettes-poèmes avec des saveurs nouvelles, uniques et inventives. C'est un Lieu-dit rempli de livres, de vie et de poésie. La machine à café décide de s'arrêter, quelqu'un pose une affiche sur la porte, je pense au verbe de Prévert, ici il est question de s'entrevivre.
Le temps de marcher un peu le long de la Sorgue, et de rencontrer un héron près de canards faisant la sieste, je retourne à la bibliothèque pour y lire quelques poèmes et échanger avec le tout petit public qui a osé affronter le vent, la neige et le froid. Les livres s'ouvrent, les mots circulent, à l'abri des mouvements de foule.
Je ne quitterai pas St Affrique sans goûter au roquefort. Merci Marie-Hélène.
samedi 2 avril
Marie-Hélène m'emmène à Aguessac, Jean-Baptiste est là et Madame le Maire nous accueille, entourée de bénévoles et de bibliothécaires actifs et enthousiastes. Ils ont fait un grand cercle avec une vingtaine de chaises, elles se remplissent toutes. Je lis et je raconte comment pourquoi la poésie, avec la vie. Partages, questions, émotion, on pense aux cerisiers et on ne voit pas l'heure tourner. C'est l'heure de l'apéro et on savoure ce que chacun a emmené. Puis sans tarder on file, on a rendez-vous à Requista !
Elodie la bibliothécaire a inscrit il y a déjà un bon moment autant d'enfants que d'adultes. Une dizaine nous attendent autour d'une table. Elle a tout préparé et nous laisse fouiller dans les livres et les rayonnages. Les mots de nouveau se laissent choisir et chacun écrit des poèmes aussi sensibles qu'inventifs. Etonnements, joie, gratitude. Il y a des grands sages parmi les enfants et la poésie vibre haut.
Le temps d'une petite pause au café du coin, Jean-Baptiste m'emmène à Cassagnes, pour la dernière rencontre de ma semaine aveyronnaise. Isabelle nous attend et Adeline est là, qui fait danser sa bibliothèque, on en oublie la fatigue, un nouveau cercle se dessine et toutes les chaises sont occupées. Questions attentives, aveux fragiles, sourires et rires éclaboussent, ici la poésie sort de ses étagères, les haikus vont se cacher dans les chemins du village. On se régale encore de tout ce que chacun a emmené. Les mots sont tout près des choses qu'ils désignent.
Il reste encore un peu de neige, on prend la route avec Isabelle, en pestant contre les gens armés en liberté que l'on rencontre en bord de route certains dimanches d'hiver. Un petit chevreuil file devant nous rejoindre sa forêt, sa maison. Une ponctuation, le signe que la semaine se termine, petites graines semées et cadeaux des rencontres, des accueils. Je repartirai demain moi aussi dans ma maison, une autre forêt sera là et je guetterai au coin du chemin, pour voir si le petit chevreuil est arrivé avant moi.
Merci à vous tous, humaines et humains, cerisiers, magnolia, chênes et châtaigniers, canards, héron et chevreuil, rivière, cascade, montagnes, villages, pluie, neige, soleil, et poésie !
Des témoignages de bibliothécaires
Cette année sur le thème de l’Ephémère, le Printemps des poètes à Cassagnes-Bégonhès a pris plusieurs formes durant 15 jours : Brigade d’intervention poétique (BIP) dans les établissements scolaires du village, exposition et lectures à la médiathèque, jeux et haïkus en liberté dans les rues du village, création de poèmes, projections de courts métrages, etc Toute une série de rendez-vous mené en partie avec la compagnie aveyronnaise La Lloba et Laurence Leyrolles et avec la complicité des bénévoles de l’association Au plaisir de lire.
Le calendrier, au départ incertain, nous a finalement permis d’envisager la venue d’Albane Gellé comme une jolie surprise, offerte par la MDA.
Rencontrer un.e auteur.trice, c’est découvrir une manière de voir le monde, de le dire, de le penser. C’est aussi découvrir quelqu’un qui fabrique, qui transmet, qui transforme.
Parsemée de lecture de poèmes, la rencontre avec Albane Gellé a aussi pris la forme d’une discussion libre autour de l’écriture, la poésie, le cheval, l’articulation entre la vie de famille et le travail, l’enseignement, la lecture, la ponctuation, … La soirée s’est prolongée autour d’une auberge espagnole où les discussions se sont poursuivies en aparté. Certains se connaissaient, d’autres pas. Nous étions une 20ene et avons partagé un moment, ensemble, disponible les uns aux autres.
Témoignage :
Cette rencontre avec la poétesse Albane Gellé fut un moment de partage en toute simplicité, habillé de paisibilité mais animé d’un enthousiasme curieux de l’auditoire. Nous fûmes vite conquis par les échanges avec Albane, les explications apportées sur sa manière d’écrire et par sa poésie qu’elle a volontiers accepté de nous livrer à haute voix. L’évocation de sa pensée qui jaillit comme une source intarissable soit pour répondre à des commandes sur des thèmes acceptés soit pour transformer en poésie ses pensées quotidiennes, source de réflexion continue. Comme elle fleurit de poésie les chemins de randonnées, Albane a donné vie au printemps durant notre soirée et c’est un grand merci que nous pouvons lui adresser.
Daniel et Adeline, médiathèque de Cassagnes
Cette matinée poétique a été appréciée par la qualité des échanges et des textes lus. Chacun est reparti avec un livre souvenir d'Albane Gellé.
Ce qui a été apprécié sont les moments de partage chaleureux et simples avec la poétesse, elle souhaitait surtout nous faire partager son plaisir de créer avec des mots simples et sa manière d'exprimer ses ressentis et ses idées sur le monde qui nous entoure. On s'attendait à passer une heure à écouter ses poèmes mais elle ne cherchait pas à éblouir son auditoire par ses écrits mais à partager un moment de chaleur humaine, mettre la poésie à la portée de chacun, nous expliquer sa démarche.
Le repas partagé en fin de rencontre fut très simple et convivial, un vrai partage qui a permis à chacun de s'exprimer sur ce que l'on venait d'écouter et d'ouvrir la discussion sur des sujets très variés tout en régalant les papilles.
Colette Gaud, bibliothèque d’Aguessac
Ce jeudi 31 mars dans une ambiance délicate, curieuse et attentionnée, les élèves d'une classe de l’école de Campuac accueillent à la bibliothèque Albane Gellé.
Avec douceur elle nous fait part de son métier d’écrivaine et de poétesse puis elle nous emmène rapidement et habilement dans les mots.
C 'est alors qu'à 16h les enfants, chacun à leur tour, lisent aux autres leurs écrits solitaires.
Les mots, leurs mots simples associés différemment que d'habitude deviennent des poésies, trouvent sens.
Bientôt ils emporteront avec eux, chacun un petit livre, trace éternelle et joyeuse de cette rencontre avec Albane Gellé et de leurs camarades. Gageons qu'ils garderont dans le cœur ce moment de poésie et d'ouverture aux mots...
Bernard Fontaine, bibliothèque de Campuac
De notre côté les retours ont été très positifs aussi bien du côté des enfants que des parents. N’ayant pas assisté à l’atelier je n’aurais pas de retour à faire sur son déroulé, mais en tout cas notre demande initiale d’un atelier adapté aux petits et aux grands a bien été respectée.
J’avais un peu peur que certains enfants, ayant été inscrits par leurs parents, aient du mal à rentrer dans l’atelier et dans le monde de la poésie, mais tout semble s’être passé à merveille. De notre côté que du positif et je pense que tout le monde a hâte d’en accueillir un nouveau.
Elodie Massol, médiathèque de Réquista
En ce qui concerne notre venue à la bibliothèque, les enfants et moi-même étions ravis. Ce fut un très beau moment, la rencontre avec Albane fut enrichissante et les enfants ont écrit de très jolies choses, même si le temps d'écriture fut un peu court.
Le petit jeu de piste fut bien mené, les enfants ont bien compris le principe de classement. Je pense qu'il aurait été intéressant qu'ils puissent ensuite emprunter chacun un livre de façon individuelle mais je comprends bien que cela soit compliqué. Comme je vous l'avais dit au téléphone, je trouverais vraiment chouette que nous puissions venir plus régulièrement à la bibliothèque...
Pour une petite "exposition" des poèmes, je trouve aussi que ce serait un bon moyen de mettre leur travail en valeur même s'il ne s'agissait que de petits jeux d'écriture.
Merci encore pour l'organisation de ce superbe moment,
En espérant pouvoir en vivre de nouveaux l'année prochaine !